Il y a des jours où on voudrait faire une pause. Rester dans cette bulle où le temps s’écoule sans se retourner, suivant la magie de l’instant.
Oublier Gaza, les violences et la guerre, la mort des océans, les tracasseries du quotidien, la vie qui malgré tout se fraye un chemin.
Oublier qu’on n’est rien. Qu’on est mère. Que tout a une fin. Que des enfants ont faim. Oublier que c’est la fête des mères et qu’on n’a plus de mère.
Oublier Gaza.
Écrire une chronique intitulée "À toutes les mères de Gaza” dans Politis.
Se joindre à un appel des mères à manifester à Paris le 15 juin prochain. (Je vous tiendrai au courant.)
Se dire qu’on a cette chance d’avoir pu atteindre l’âge où on n’a plus de règles, vibrer comme une orque, seule espèce qui connaisse ce temps non-reproductif durant de longues années avec les femelles de l’espèce humaine.
Aller en parler au génial festival Les Bazarettes à Arles dont on va devenir la marraine. Trouver ça bizarre et marrant, d’être marraine.
Préparer son sac pour aller à Paris ce mardi parler ménopause à l’Assemblée nationale. Lire le rapport dirigée par la députée Stéphanie Rist. Se surprendre à le trouver plutôt équilibré.
Écouter La Marée, de Jeanne Cherhal (Jeanne sera ce soir de nouvelle lune et lendemain au Théâtre des abbesses à Paris).
Donner une interview au Midi Libre à la Comédie du Livre où pour une fois j’aime bien ma tête mais où on n’entend pas grand chose. Échanger avec Juliet Drouar sur ce que peut la littérature. Parler avec Marion Mazauric et avec Christophe Siebert de cette aventure que sont les éditions Au diable vauvert – une rencontre racontée ici par le site Actualitté.
Aller sur France Inter parler d’écoféminisme et s'emmêler les pinceaux au milieu des rires et des échappées surréalistes des humoristes de Zoom Zoom Zen. Se dire que l’écoféminisme n’en sort peut-être pas grandi, mais le ridicule ne tue pas et peut-être que c’est bien aussi, de rester petit.
Tout le monde s’en fout que vous disiez des conneries.
C’est la vie aussi, de dire des conneries et de faire des blagues approximatives.
Se poser des questions. Ne pas savoir y répondre.
Lire des manuscrits, accueillir une autrice en résidence et passer des heures à discuter avec elle de nos projets, de nos histoires, en mangeant de la roquette et des fraises sur la terrasse.
Perdre quatre kilos parce que Madame si vous ne vous débarrassez pas cette graisse viscérale je ne donne pas cher de votre foie. Sans parler de votre coeur.
Pour ce qui est du coeur, se dire en catimini qu’il est comme une toile archnéenne : fragile, féroce et brillant sous la rosée du matin. Penser avec gratitude à l’araignée qui le tisse et le retisse nuit après nuit. S’inquiéter du foie. Garder la foi.
Oublier Gaza.
Aller à la plage pour la première fois de l’année et trouver l’eau un peu froide mais pas trop.
Aimer le vent. Le sel. Le sable. Les chevaux. Les cloches. Le camion pizza du vendredi soir.
Écrire l’adaptation BD de Ceci est mon temps, en alternance avec mon prochain essai sur les femmes et l’écriture.
Être contente et puis devoir tout réécrire parce que c’est nul. Avoir une idée géniale qui n’a rien à voir et qu’on ne pourra pas faire avant 2028.
Se demander où on sera en 2028. Envisager de partir en ailleurs dans une maison isolée, et se lancer dans la permaculture alors qu’on n’arrive déjà pas à s’en sortir avec les plantes en pot. Regarder sur le Bon Coin. Se dire que finalement la Camargue c’est pas mal et que nos ancêtres y vivaient déjà il y a dix mille ans, alors pourquoi partir maintenant ?
Vérifier si des gens ont liké mes stories sur Insta.
M’apprêter à accueillir ma fille licenciée de son boulot du jour au lendemain avec des arguments claqués au sol. Me réjouir à l’idée de passer du temps avec elle, de nous balader avec les chiens, d’aller peut-être marcher dans la montagne. Mais me demander si j’aurai le temps, si ça va bien se passer pour elle, pour nous. Si j’arriverai à écrire tout ce que je dois écrire dans ces conditions. Penser à la famille qui est là et me sentir un peu rassurée. Et puis recommencer à me tourmenter.
Faire mes comptes, encore et encore, déclarer mes impôts, essayer de remplir mon dossier de retraite avec des sueurs froides et des angoisses inexplicables, préparer l’été, être en retard dans les papiers. Parler avec la dame très gentille de la Caisse de retraite qui dit de ne pas s’inquiéter.
M’inquiéter quand même et repousser le moment de remplir le dossier.
Être en retard sur tout et croire que je m’en fous mais prendre quand même les médicaments contre le stress et l’hypertension.
Faire du rameur, du taichi, marcher dans la campagne et cuisiner à la vapeur.
Se lancer dans un grand ménage.
Laver les carreaux de ciment imbibés de vin, de café, de tabac, du temps où cet appartement était une maison de plaisir, une salle de jeu, un lieu de perdition. Ne pas arriver à enlever les taches et ne pas oser chasser les araignées qui viennent parfois sous mes yeux me narguer. Se dire qu’au cas où, elles pourraient réparer mon coeur.
Comprendre brusquement que si un mûrier a décidé de pousser sur la terrasse, c’est pour m’instruire de ma maturité.
Se demander s’il produira des fils de soi·e.
Réaliser en discutant avec la responsable éditoriale de Points Seuil Pascaline Giboz autour d’un thé sublime chez Umami Paris que la collection féministe dans laquelle est publiée notamment L’Amazone verte (achetez mes livres ou abonnez-vous à cette newsletter !) a pour nom de code “la violette”, ce qui explique ma lettre de la dernière lune, La position du fair-play, où je voyais des violettes partout sur mon chemin sans parvenir à interpréter ce signe.
S’inquiéter que la chatte ne mange rien et maigrisse beaucoup trop, ne pas savoir quoi faire alors que le ruineux vétérinaire la trouve en parfaite santé. La porter dans le lit et l’embrasser tendrement pour la rassurer. Trouver qu’elle sent le poisson et ne pas arriver à se débarrasser de l’odeur. Se mettre de l’huile essentielle de menthe poivrée dans les narines et brûler sa muqueuse aux troisième degré.
Se demander s’il ne faudrait pas faire appel à une personne douée en communication animale, qui me dirait que Milky fait juste le régime anti-graisse viscérale avec moi.
Se rappeler qu’on est en vie.
Découvrir les textes émouvants que vous m’avez envoyé sur la ménopause, et se dire qu’un jour ce sera comme pour les règles : un sujet légitime, politique, libérateur et libéré. Lisez le premier d’entre eux ci-dessous, il est si bien !
Aller me coucher avec mon téléphone, prendre une douche, méditer.
M’endormir.
Ne jamais oublier Gaza.
Après le texte de Monica M. que m’avait transmis Mona Chollet il y a un mois, j’ai reçu d’autres textes très touchants sur la ménopause, dont voici le premier, où il est question de changer, d’accepter, de s’accepter, et de trouver les voies du plaisir. Merci à Arielle d’avoir bien voulu le partager.
Mûre, et femme !
Le témoignage d’Arielle
Je m’appelle Arielle. J’ai 67 ans. Je profite pleinement de ma vie de femme mûre. Je ne savais même pas écrire « ménopause » avant de décider de parler de cette période de ma vie. Voyez à quel point cela me préoccupe ! C’est mon gynécologue qui m’avait appris que j’étais ménopausée, vers 55 ans, grâce à un dosage hormonal. Je ne m’en étais pas rendue compte, j’avais toujours eu des règles irrégulières. Cela n’a pas changé ma façon de vivre, ni à ce moment-là ni après. J’ai ressenti quelques signes physiques, mais chaque problème a trouvé sa solution. Et je n’ai jamais renoncé à ma vie intime.
J’ai pris un traitement hormonal substitutif pendant 7 ans. A 65 ans, la relation avec mon conjoint n’étant pas au beau fixe, j’ai eu moins de désir pour lui. Un peu de sécheresse vaginale est apparue, quoi de plus normal dans ce contexte. Elle a été corrigée par des ovules et un lubrifiant. Cela peut arriver à n’importe quelle femme, à n’importe quel âge et pour diverses raisons. Ma vie de femme s’est poursuivie. Je ne me sens pas privée de ma féminité. Je ne suis jamais devenue irritable, n’ai ressenti ni trouble du sommeil, ni signe de déclin cognitif. Pourquoi faire des symptômes de la ménopause une loi générale?
Matheuse, je nourris également un intérêt pour la littérature et les langues, il m’arrive d’écrire aussi d'écrire. Ma mémoire n’a pas flanché ! A travers des activités créatrices, mon sens du beau s’est affiné je crois. Et je m’engage désormais dans des causes qui me tiennent à cœur : la démocratie, l’écologie, le bien-être animal, etc. La valeur tolérance me tient toujours à cœur. Celle-ci a d’ailleurs été mise à l’épreuve lorsque notre fille de 28 ans nous a annoncé qu’elle était non genre et qu’elle avait changé de prénom. Seul a compté notre amour indéfectible pour elle.
Autre idée reçue sur les femmes ménopausées. Le poids. En ce qui me concerne, j'ai toujours été ronde, mais j’avais pris quelques kilos supplémentaires. Là encore, pas de fatalité. Grâce à un programme de rééquilibrage alimentaire, j’en ai perdu. Je me plais davantage, malgré les rides. Je n’ai d’ailleurs jamais pris autant soin de moi je crois
Et étant mieux dans ma peau, on vient plus volontiers vers moi. Mes ami·es ont entre 30 et 86 ans. Nous parlons de tout sans tabou.
Pour moi, la sexualité est essentielle pour me sentir vivante. Petit retour en arrière. Quand j’avais 32 ans, nous avions des difficultés à concevoir un enfant. Mon conjoint avait alors 25 ans. Oui, notre différence d’âge ne va pas dans le sens communément rencontré. Nous avons fait l’amour chaque jour comme des automates pendant deux ans dans le seul but de procréer. J’ai fini par tomber enceinte. A partir de là, notre intimité a cessé pendant plusieurs années. Tout était devenu machinal. Mais nous avons retrouvé le chemin du plaisir. Le temps passant, il s’affine d’ailleurs toujours. J’éprouve toujours du désir, parfois même soudainement comme une adolescente. Je me laisse émouvoir par des hommes plus ou moins jeunes. Tout est une question de feeling, pas de normes. Mon conjoint me dit que je suis belle et désirable, ce qui me comble de joie. Exit la comparaison avec des femmes à la silhouette parfaite. Nous nous plaisons. Nos rapports amoureux sont tendres, joyeux, inventifs. Nous n’aurions jamais osé tout cela plus jeunes. Récemment, un jour de fête des mères, mon conjoint m’a offert un sextoy. J’ose m’exprimer, car je me connais bien. S’il n’y a pas orgasme à chaque fois, qu’importe. Jeune, j’étais frustrée si je n’y parvenais pas. Plus maintenant. Il n’y a pas d’obligation de résultat.
Un petit souci me gênait. Mon conjoint a des problèmes d’érection, et prend parfois un facilitateur qui met environ 2 heures à agir. De ce fait, je trouvais que nos rapports n’étaient plus spontanés. J’en ai parlé à ma doctoresse, très ouverte sur le sujet. Elle m’a posé une question : « comment vous sentiez-vous quand vous aviez une rencontre amoureuse à 17 ans ? Avant la rencontre, l’imaginaire cavalait. Pourquoi ne pas faire de même maintenant ! ». Anticiper le désir, c’est déjà désirer.
Je vois parfois une psychologue. Il y a peu, je lui ai dit mon indignation quant à la manière dont sont vues les femmes ménopausées. Elle m’a répondu qu’il était bon de lever le tabou. Par contre, quand j’ai tenté de lui parler vie intime, elle a soudain été très gênée. Il faudrait donc ne parler que des problèmes liés à la ménopause, et garder le silence sur sa sexualité de femme mûre ? Parce que ça risque de choquer ? Cette psychologue a environ 40 ans. Comment pourra-t-elle aider les femmes mûres si elle ne lève pas le tabou sur la sexualité de celles-ci ?
A propos de la femme mûre, il n’y aurait donc que deux attitudes possibles ? le silence gêné, ou la caricature de la ménopause. Nous sommes pourtant toujours pleinement en vie, avec nos capacités cognitives, notre sexualité, notre expérience de la vie. Pourquoi ne pas nous voir comme des femmes expérimentées, riches et pourquoi pas, initiatrices ? Je crains que la société des bien-pensants ne soit pas prête pour ce discours, et préfère, inconsciemment peut-être ériger en exemple d’abnégation des femmes qui ont renoncé à être pleinement femmes, stigmatisées par la description que la société fait d’elles.
Avant tout, vivons. Sans préjugés.
Merci ! Merci de cette sincérité qui me tire les larmes. Même à 31 ans je reconnais beaucoup de choses qui m'envahissent pareil. Ne jamais oublier Gaza. Je pense à maman et sa ménopause, à toutes les femmes, les cycles, les variations d'humeur et d'émotions, l'intensité de vivre.
💕