On l’appelle la lune rose, non pas parce qu’elle l’est, mais parce qu’elle correspond à la floraison d’une plante aux mille nuances de mauve : la phlox subulata. Identifiée par Linné en 1753, cette fleur originaire du continent américain doit son nom à la vivacité de sa couleur – phlox signifiant « flamme » en grec. Elle a la particularité de pouvoir recouvrir de très vastes étendues. Au Japon, il existe un festival qui se déroule précisément en avril au pied du mont Fuji, dans un immense parc où fleurissent près de 800 000 phlox subulata, qu’on appelle shibazakura.
Je rêve d’y aller un jour si les vents me sont favorables, comme j’aimerais aller à Taipei où – je viens seulement de l’apprendre – la gynécologue oncologue Ruby Huang dispense depuis trois ans un cours sur les menstruations en s’appuyant notamment sur mon livre Ceci est mon sang, qui a été traduit en mandarin. Depuis que j’ai appris cette nouvelle sur Facebook, je suis devenue virtuellement « amie » avec cette grande scientifique, et je suis avec passion ses posts, qui mettent en scène ses repas jour après jour, avec des commentaires en chinois que l'intelligence artificielle traduit maladroitement. C’est dans ces moments-là que j’adore Internet et les réseaux sociaux, pour la grâce improbable qu’ils savent instiller dans nos vies.
Dans le langage des fleurs, la phlox subulata est censée symboliser la flamme – et même la passion. Au Japon, on appelle ce langage hanakotoba : l’anémone y représente la sincérité, l’azalée la modestie, le cactus le sexe ou la convoitise, tandis que la lavande indique la fidélité, le jasmin l’amitié, et le lycoris rouge (ou amaryllis du Japon) le souhait de ne jamais se rencontrer à nouveau.
Si l’ikebana (art floral ou « voie des fleurs ») est une des trois grandes traditions culturelles féminines du Japon avec la cérémonie du thé et la calligraphie, la phlox subulata a créé à elle seule sa légende. En 2016, un reportage a fait le tour du monde, racontant comme un fermier japonais Toshiyuki Kuroki, avait planté son jardin d'un gigantesque parterre de shibazakuras odorantes pour réconforter son épouse, Yasuko, rendue aveugle par son diabète. Un geste d’amour qui a attiré des milliers de personnes curieuses de découvrir la splendeur et le secret de cette longévité amoureuse (le couple était marié depuis quarante ans), ce qui a permis à Yasuko d’être entourée de présences amicales et de retrouver le sourire. Huit ans ont passé depuis le reportage et je n’ai trouvé aucune trace de cette histoire après 2016. Toshiyuki et Yasuko sont-ils encore dans leur jardin couvert de fleurs, en cette microsaison dénommée « Les premiers roseaux poussent » au Japon ? Si vous avez des informations plus récentes sur ces amoureux jardiniers, n'hésitez pas à me le faire savoir...
Le moment est aussi venu de vous annoncer la parution du prochain opus de la collection Nouvelles Lunes au format papier : La Femme aux mains qui parlent, de Louise Mey, à paraître le 23 mai prochain au Diable vauvert. Le personnage principal de cette novella envoûtante est une jeune femme sourde et aveugle qui vit dans une ferme et développe une relation profonde et inattendue avec une meute de loups... Avec humour mais aussi un sens du suspense affuté, de la part d'une autrice connue notamment pour ses thrillers haletants comme La Deuxième Femme ou Petite Sale, Louise Mey a nous entraîne dans un univers où l'animal n'est pas toujours celui qu'on croit...
Réservez d'ores et déjà, si vous êtes à Paris, la soirée du 5 juin, car ce sera l'occasion de rencontrer Louise Mey et de découvrir son livre à la Gaîté lyrique, avec certain·es des auteurices de Nouvelles Lunes pour un moment de lecture, de musique et même de rigolades.
Parmi ces invité·es, nous aurons la joie d'accueillir Laure Stehlin, qui nous livre ici cinq poèmes/chansons au charme aussi puissant que sa voix. D'abord musicienne et flûtiste baroque, Laure Stehlin a décidé suite à une épreuve de la vie de développer une musique improvisée incluant la voix, les instruments du monde, la poésie ainsi que l'usage du live looping (des boucles enregistrées qui se mêlent à la performance réelle en direct). On peut découvrir son dernier album de musique méditative en ligne ICI. Il accompagne depuis plusieurs mois mes méditations et a pour effet de me mettre en transe directement : ne faites pas ça au volant, mais chez vous en sécurité ! Pour en savoir plus sur Laure Stehlin, vous pouvez aussi consulter son site.
Laure Stehlin par © Benjamin Struelens
1. Exilée
Je suis une exilée de la canopée
une expulsée des forêts sauvages
une déshéritée des vastes paysages.
Je suis une exilée de la canopée
un animal peinant dans des dédales
une expatriée des ondes abyssales.
Et toi qu’est-ce que tu crois, et toi qu’est-ce que tu sais ?
Tu ignores la joie, avec tes simagrées !
Je suis une exilée de la canopée
une déracinée des bourgeonnants déserts
une délogée des scintillantes rivières.
Je suis une exilée de la canopée
une émigrée des immensités
une espèce menacée des jungles enchevêtrées.
Et toi qu’est-ce que tu crois, et toi qu’est-ce que tu sais ?
Tu ignores la joie, avec tes simagrées !
Je suis une exilée de la canopée
une arrachée des luxuriants feuillages
une extirpée des mélodieux ramages.
Je suis une exilée de la canopée
une éloignée des sublimes racines
une rescapée de nos origines !
2. Amazone
Ils m’ont dit, qu’il fallait se séparer, peut-on nommer ça annoncer ?
Ils m’ont dit, que maintenant il fallait te laisser. Loin, disparaître…
Que faire de ces larmes ? Que faire de ces temps ?
Que faire de ce drame ? Que faire de ces gens ?
Ils m’ont dit qu’il fallait se séparer, personne ne peut l’imaginer.
Se séparer de toi, qui est attaché à moi, se séparer de toi, c’est se séparer de moi.
Tu es doux, tu es chaud, tu es rond, tu es beau, tu es tout, tu es vous, tu es dans mon histoire,
vous êtes deux dans mon giron.
Ils m’ont dit vous allez voir, ça n’est pas une si grande histoire.
Ils m’ont dit, on s’habitue,
Ils m’ont dit c’est étonnant, étonnant ce que font les gens.
Ils m‘ont dit, on s’habitue, ils m’ont dit vous serez étonnée.
J’ai tenu longtemps, longtemps je t’ai gardé, longtemps je n’ai rien écouté, longtemps j’étais
peinée.
Ils m’ont dit de te quitter, et bientôt j’ai accepté, j’ai accepté l’impensable, J’ai accepté
l’inimaginable.
Ils m’ont dit : « Il faut couper ».
Alors de courage je me suis armée, alors, de toutes mes pages, je me suis équipée.
J’ai appelé la lune, la terre, le soleil, les étoiles, et les astres m’ont murmuré :
« Tu es toi. Quelle que soit ta forme, quelle que soit ta loi, quoi que soit ce qu’ils voient, c’est toi. »
Alors, je t’ai laissé, alors j’ai accepté, j’ai accepté l’impensable, j’ai accepté l’inimaginable.
Tu es parti sous le bistouri, un jour où j’n’étais pas endormie.
Je te sais dans l’invisible, plus puissant, plus puissant, plus puissant.
Je te sais dans l’invisible, plus puissant qu’avant.
Mon sein.
3. Réel
Je veux que ce soit réel
Je veux que tout cela soit réel
Palpable, respirable, tangible
Ressentir la vibration de ton souffle
Toucher tes yeux
Respirer tes cheveux
Je veux que ce soit réel
L’odeur poudrée des graminées de juin
Les fragrances enivrantes du tilleul
Le clapotis de l’eau
Et sa fraîcheur inaltérée
L’inclinaison répétée de la tête de l’oiseau
Son mouvement délicat et indescriptiblement mignon
Le craquement des aiguilles de pin sous mes pas
La lumière qui décline dans le lointain
Tout cela est réel
Tout cela est la merveille
Garde-toi des murs érigés
Ne te leurre pas sur la puissance des angles droits
Garde-toi de toute construction
Garde-toi de l’illusion de ton confort
Rapproche-toi de la racine tortueuse et imprévisible
Et préserve le réel, car c’est là ta seule et unique richesse.
4. Rhizomes
Traces dans mes veines de ces chemins de textures
Réjouissante aubaine qui transcende la morsure
Sentiers infimes, aux multiples veinures
Oubli de mes peines, ces dessins de bonne augure
De la terre, ces rugosités révèlent l’infinie générosité.
5. Habitant des orages
Ce jour-là, nous avions rendez-vous sur la rive du torrent
Lui, avec son âge, jeune, éternel
Lui, sculpté, incliné, accroché au bord
Silencieux habitant des orages, vainqueur des nuits
J'ai marché jusqu'à lui
Vacarme de l’eau
Pour le rejoindre, il faut quitter le sentier
Il s'écoute, il s'offre, il se donne
Il porte un mystère couvert de mousses
Ce jour-là, j'ai tout reçu en une bouffée !
De ce vieux tilleul-là, j'ai reçu jusqu'aux larmes…