… C’est le sens originel du mot “solstice”, en latin SOL pour soleil, et STATUS, participe passé du verbe “s’arrêter”.
Durant trois jours, entre le 20 et le 22, le soleil était au plus haut, et Stonehenge était assailli de touristes cherchant la lumière dans les géométries antiques. Les sorcières Wicca accueillaient la fête de Litha, en l’honneur du dieu cerf Cernunnos, tandis que Donald Trump envoyait des bombes sur le peuple iranien. Il y a feu et feu. Et c’est de ça qu’on parle : je vous raconte des rituels du feux ancestraux, je vous parle du mot canicule, des bûchers de sorcières, et je vous annonce des ateliers d’écriture pour la rentrée, la création d’un manuel de Mères Vieilles, et plusieurs événements lunaires à ne pas manquer ces jours-ci.
Le 22, le monde entier bruissait d’une rumeur de Troisième Guerre mondiale, et moi j’allais me baigner au Grau-du-Roi avec un livre sur l’astronomie préhistorique : Etoiles dans la nuit des temps. Je me sentais comme dans la célèbre phrase écrite par Kafka dans son journal, le 2 août 1914 : “L’Allemagne a déclaré la guerre à la Russie. Après-midi : piscine.” Je pensais à Gaza et je pensais aux étoiles, aux coïncidences et à mon chat. Ou plutôt à ma chatte qui ne mange pas, puis remange, et enfin s’allonge dans la baignoire pour y chercher la fraîcheur (oui, je parle de l’animale, vous avez cru quoi ?)
Femme, vie, liberté ?
Dans une vie, tout se mélange : les pleurs et les peurs, les joies et les peines, l’amour et la haine. J’ai choisi de vous emporter dans mon sillage avec cette carte postale envoyée d’Amsterdam (merci Madeleine !) . Elle trouvait que ça me ressemblait, et je me suis reconnue dans ce soleil qui éclaire mon cœur et mon corps, malgré les nouvelles qui nous parviennent chaque jour.
Bien sûr, j’aurais préféré vous parler des feux de la Saint-Jean dans mon village avec une procession d’enfants, des bouquets de blé et de fleurs accrochés sur le pont. Quelques personnes ont revêtu des costumes traditionnels et entonné des chants folkloriques en dansant autour du feu.
Malgré le désastre (le contraire des astres), je suis une fille du sud et j’aime l’été, la canicule. Le mot signifie “petite chienne” (canicula en latin) et c’est ainsi qu’on appelait l’étoile Sirius, à laquelle on attribuait alors les périodes de forte chaleur. J’aime les cigales. J’aime les matins frais, les nuits trop courtes, les vents trop chauds. Le feu, toujours, qui brûle en moi.
Dans le village de Thann, d’où le nom de Thiébaut est originaire, on crame carrément trois sapins fin juin avant de sortir la statue du saint Theobaldo (car le saint serait venu de Gubbio, en Italie, et la relique de son doigt momifié est toujours pieusement conservée dans la cathédrale) pendant que tout le monde s’empiffre de tartes flambées. On a aussi brûlé des sorcières ici, évidemment. Et pas qu’un peu.
J’y suis allée en juin 2017 et j’en ai profité pour visiter le musée des Amis de Thann où j’ai appris qu’entre 1572 et 1620, un homme et cent vingt quatre femmes avaient été martyrisées devant la tour des sorcières. Il existe aussi dans ce village de mes origines patronymiques un œil de la sorcière provenant d’un ancien donjon. Et c’est là qu’on découvrit, au XIXe siècle, des industries chimiques qui allaient dévaster le monde.
Oui, les quêtes originelles ont toujours un petit arrière-goût de trauma.
Les miens sont très français : nourris de catholicisme, de racisme et de sexisme, mais aussi d’industrie et de prétendu progrès, ils ont construit mes privilèges, et les regarder dans les yeux n’est pas toujours agréable. Mais il y aussi des traditions folkloriques que j’aime envers et contre tout : traîner au café, danser le madison, chanter à tue-tête, se dire bonjour tous les trois mètres, courir derrière les chevaux et les toros, choisir une thématique pour la journée des filles (ce sera léopard et je m’en fous si vous trouvez ça ringard d’avoir une journée fille et de s’habiller en motif léopard), déjeuner dans les pâturages et se retrouver sur la place pour écouter la fanfare. Ou même entendre à fond la caisse douze fois par jour Dans les yeux d’Émilie de Joe Dassin pendant les fêtes votives (spéciale dédicace à ma Jojo qui se reconnaîtra).
Je raconte ces contradictions dans Mes ancêtres les Gauloises (2019) – un livre bizarre mais parfois drôle sur les impensés du roman national à travers l’histoire de ma propre famille. Il y est question de tests ADN, de colonisation, de la traite triangulaire à Marseille, mais aussi des cocottes et des courtisanes, des Amazones et du fait je pourrais descendre du roi Edouard VII (surnommé dans les bordels français Dirty Bertie)…
Le soleil s’est arrêté à l’endroit où notre dignité ne peut plus se glisser.
J’avoue ne pas comprendre pourquoi nous ne sommes pas plus nombreux-ses à dénoncer le génocide à Gaza, la guerre contre l’Iran, toutes ces horreurs dont le gouvernement français est complice.
Pourquoi nous ne parvenons pas à renverser la vapeur pour prendre enfin soin de nous, de la terre, du vivant ?
Pourquoi ne créons-nous pas un mouvement des grand-mères contre l’extrême-droite comme il en existe en Allemagne ? Si vous êtes chaud·e – c’est de saison – écrivez-moi, ça commence à devenir urgent et j’ai déjà sous le coude un manuel de nos potentialités inexplorées : Elise au pays des mères vieilles (il faudra attendre un peu pour le lire, mais – qui sait ? – vous le découvrirez peut-être ici en feuilleton ou en podcast, quand j’aurai réussi à me servir de ce foutu enregistreur).
Nous étions près de 2000 aux Invalides, le 15 juin dernier, à l’appel des Mères pour la Palestine, et je n’étais pas allée à un rassemblement aussi émouvant depuis des années. Parce qu’on pouvait y dire ce qu’on ressentait. Parce que les noms des enfants écrits sur un tissu blanc qui flottait dans l’air avaient soudain une réalité. Parce que chaque mot, chaque parole, chaque étreinte disait la vérité.
J’ai lu un texte de Duha el-Saife, journaliste et mère palestinienne, qui a perdu trois enfants à Gaza : Rital, Nour Al-Haq, Osama.
Une partie de son visage a aussi été emportée. Chaque jour, elle raconte sur Instagram cette perte et ses combats. Elle m’a laissé être sa voix. Mais elles sont des milliers et nous sommes divisées, éloignées, silenciées.
Curriculum Vitae de nos Saisons Intimes
Cela va vous paraître bizarre de lier les deux, mais c’est peut-être aussi dans la façon dont on nous raconte, aujourd’hui encore, le destin de la féminité, que réside notre incapacité à défendre nos corps, nos enfants, la vie même. On nous apprend à nous maltraiter, à ne pas compter, à subir, à ne pas comprendre. Et ça commence dans nos corps, où toutes les dominations s’écrivent. S’inscrivent. Dès les premières règles, et puis tout du long.
Lauren Bastide en parlait récemment dans une lettre “La question de l’utérus”, où elle racontait comment elle avait reçu un diagnostic d’adénomyose qui a fait remonter des années de souffrances psychiques et physiques négligées à l’endroit de son utérus :
J’ai beau avoir répété cent fois, dans mes bouquins, dans mes podcasts, le fait que les femmes minimisent leur douleur. J’ai beau être au courant de toutes les silenciations autour des douleurs gynécologiques. Ça fait deux ans qu’à chaque cycle, j’atteins le fond du gouffre et que je ne vois pas le problème.
Je me dis : c’est le tarif, c’est la périménopause, ma grande. Il faut en passer par là.
Sauf que c’était pas normal.
Lors d’une autre rencontre, récemment, j’ai discuté avec une gynécologue experte à propos de la ménopause, et quelque chose m’a frappée. Elle définissait ce moment comme “une carence en œstrogènes”, et ne comprenait pas pourquoi je refusais d’accepter cette formulation qu’elle prétendait “scientifique”. Mais s’obstiner à présenter la ménopause en ces termes a un impact immense sur nos représentations – et pas dans le bon sens. Comme j’insistais pour lui demander de déterminer ce qui en faisait d’après elle une carence au plan scientifique, elle a fini par lâcher : “Eh bien, il y a carence par rapport aux hommes qui, eux, continuent de produire de la testostérone jusqu’à la mort.” (Il y a quelque chose avec cette expression : “jusqu’à la mort'“, qui fait toujours un peu froid dans le dos, mais bon ce n’est pas le sujet).
J’ai été abasourdie et j’ai vu qu’elle comprenait elle aussi, tout à coup : en posant le corps masculin comme un standard, sa soi-disant science définissait le corps féminin comme sa version défectueuse – présentant la femme comme “une sans-pénis” (alors qu’il ne viendrait à l’idée de personne de définir l’homme comme un “sans utérus”, “sans règles”, “sans seins” – à part Françoise d’Eaubonne qui avec son sens habituel de la litote appelait les hommes des “non-femmes”).
C’est ainsi qu’on fait d’une transformation naturelle une maladie (ce qui n’empêche pas qu’elle soit parfois pénible et puisse être accompagnée), impliquant de fait le recours à un traitement soi-disant substitutif. La gynécologue canadienne Jen Gunther explique dans cette lettre pourquoi il faut parler de “thérapie hormonale de la ménopause” ou de “thérapie hormonale” et certainement pas de “traitement hormonal substitutif”, qui renvoie justement à un concept erroné de carence (c’est en anglais, mais aidez-vous d’un logiciel de traduction automatique, ça vaut vraiment la peine de la lire, et pas seulement sur le sujet de la ménopause : herpès, vaginose, HPV… tout ce qu’on veut savoir, elle nous aide à le comprendre de façon éclairée et éclairante !).
Tous les mots sont des sorts, et nous sommes ici pour les déjouer, mais aussi pour en jouer. Notre santé, notre bien-être, notre dignité en dépendent. On dira que c’est l’enseignement de ce solstice (car tout nous enseigne, sachez-le) : écrivons enfin nos propres histoires !
À partir de la rentrée, je proposerai donc aux personnes qui le souhaitent un atelier d’écriture sur les saisons du corps, afin de nous réapproprier ce langage, ou peut-être le réinventer ensemble.
L’idée est de se constituer un CV menstruel, et d’écrire des lettres de motivation ou de démission, voire de rupture ou de réclamation sur ce qui se passe dans nos intimités. Et dès la rentrée aussi, je ferai un point sur les traitements et je publierai les textes qui me sont parvenus sur la ménopause (si vous en avez à proposer, il est encore temps ; et si l’atelier d’écriture vous intéresse, dites-le moi !).
Et pour finir, des nouvelles de lune à l’autre
VENDREDI 27 JUIN, la galerie NEGPOS à Nîmes ouvre de nouveau la magnifique exposition de Kamille Levêque Jego, Benzine Cyprine, qui avait été vandalisée en avril dernier par un ou plusieurs individu·s qui ont saccagé le lieu et les oeuvres pour les remplacer par des dessins de bites assez peu convaincants sur le plan artistique. Elle restera ouverte tout l’été, venez ! Galerie NegPos FotoLof 1, cours Némausus 30000 Nîmes.
VENDREDI 27 AUSSI, A GRIGNAN, on pourra voir jusqu’au 31 août la magnifique expo d’Emmanuelle Barbaras dont le livre L’Homme à nu sort ces jours-ci. Hôtel l'Instant Sévigné 1 place Castellane 26230 Grignan, de 10h à 20h.
VOUS AVEZ JUSQU’AU 30 JUIN pour soutenir le film de Mélanie Mélot, Premières lunes, qui traite des règles dans le monde d’une façon inédite, explorant aussi des rituels présents dans des cultures qui ne stigmatisent pas les menstruations, ni les filles. (contrairement à elle je ne pense pas que les règles fassent de nous des “fâmes !” ou définissent notre prétendue féminité, mais il y a dans son film une grande diversité d’expériences qui valent la peine d’être connues).
FRANÇOISE D’EAUBONNE EN AVIGNON : Vous pouvez encore soutenir la venue au Festival Off d’Avignon de la formidable pièce Françoise ! Une traversée écoféministe à la (re)découverte de Françoise d’Eaubonne, de Coline et Flora Pilet, qui joueront à La Scierie, du 5 au 25 juillet, les jours impairs à 13h30, 15 boulevard du Quai Saint Lazare, Avignon.
On m’a aussi parlé aujourd’hui de FRANCE FICTION, une pièce déjantée sur mai 1968 qui sera en Avignon et mettra (notamment) en scène Françoise d’Eaubonne à la Bourse du Travail CGT du 5 au 26 juillet, par la Cie Les unes et les autres.
Voilà, c’est la fin de cette lettre #74, pardon pour le retard, je vais sans doute prendre quelques lunes de congé pour préparer la rentrée en fanfare, et d’ici là rappelez-vous :
Moi aussi je veux écrire une lettre de démission à mon utérus
Quelle joie chaque nouvelle lettre, toujours si enrichissante. J’ai compris, avec la lettre de Lauren, que je souffrais du même mal qui me fout à terre depuis 8 ans maintenant. Et personne pour fournir d’autres réponses que « votre utérus est « vieux », prenez des hormones ça passera »…