Où je vous parle d’éclipse, d’anniversaire, de mots et de sorts, de solar punk et du prochain livre de Nouvelles Lunes Au diable vauvert : Comme Ali, de Fatima Ouassak. Avec une annonce et des rendez-vous à la fin !
L’éclipse survient quand la Terre porte son ombre sur la Lune, alignée avec le Soleil. En France, elle n’était visible qu’au petit matin, parée de ces lueurs rouges qui lui valent son nom de “lune sanglante”.
J’écris ces mots le lendemain de mon anniversaire et de celui de Françoise d’Eaubonne, qui aurait eu 105 ans le 12 mars. Cette journée est souvent difficile pour moi, j’ai mal au crâne et je respire mal. Suivant un schéma très féminin de répression interne, je me repasse en général la liste de mes erreurs et de mes fautes depuis ma naissance, entre deux cachets d’aspirine et une goutte d’huile essentielle de menthe poivrée sur les tempes. Je suis dans le cauchemar que Mona Chollet, ici au micro de Lauren Bastide, décrit si bien dans Résister à la culpabilisation.
Louise Morel se/nous posait la question dans sa chronique “Trouver le mot juste”, sur Substack : “Que puis-je faire ? quel rôle est-ce que je me sens capable de jouer, à ma modeste échelle, dans ce foutu merdier ? En particulier, puisque je me suis choisi le métier d’écrire : quels mots restent-ils justes ? quelle parole est nécessaire ?”
La question est centrale, aujourd’hui plus que jamais. Car dans certaines traditions, on dit que les mots sont des sorts.
Je vous ai déjà parlé de Pierre Bayard, auteur notamment du Titanic fera naufrage où il examine la prescience en littérature, et d’Octavia Butler, qui dans ses romans annonçait l’arrivée de Trump au pouvoir (et jusqu’au slogan “Make America Great Again”). Mais il y a aussi cet article dans Libération révélant il y a quelques jours le scandale subi par de jeunes femmes thaïlandaises à qui l’on a prélevé sans leur consentement des ovules dans des fermes de procréation en Géorgie (Caucase). Une histoire très proche de celle que raconte Nicolas Martin dans son roman, Fragile/s et en découvrant cet article, qu’il m’a transféré un matin avec moult émojis terrifiés, nous nous sommes promis de ne plus écrire désormais que du solar punk (ou, en ce qui me concerne, du lunar punk), pour ne plus risquer de voir nos dystopies se réaliser. Hélas, contrairement à ce qu’on imagine, on ne choisit pas toujours les histoires qui prennent possession de nous : pour autant qu’elles aient le moindre intérêt, elles répondent à des nécessités cosmiques dont nous ne savons pas grand-chose, et ne prennent que rarement la forme du prêt à vivre et à penser.
Très loin des rideaux de fumée médiatiques visant à masquer les appétits démesurés des puissants pour les ressources de cette terre, le drame de l’Ukraine, et avant lui celui de la Crimée, qui lui est lié, semblent être le prolongement d’antiques récits, oracles et prophéties qui agissent sur nous comme des malédictions : ce qui n’est pas dit, ce qui est mal dit.
Est-ce dans de vieilles lunes que se trouve la clé de nos énigmes actuelles ?
Après tout, c’est en Irak qu’est née l’écriture. C’est de ce pays, la Mésopotamie, que nous vient le premier texte littéraire connu et il est signé d’une femme, la princesse Enheduanna, fille du roi Sargon, il y a près de quatre mille ans. Certains vers qu’elle nous a laissés montrent qu’on savait déjà, alors, ce qui était important, avec des mots explicites :
“Retiens ma vulve,
Mon étoile esquissée, corne du berger
Amarre mon mince bateau du ciel
La beauté de ma chatte en croissant vers la nouvelle lune”
Rappelez-vous la guerre de Troie, menée pour les yeux de la belle Hélène (soi-disant) : le vent ne soufflait pas dans les voiles de la flotte d’Agammemnon. Pour le punir, la vierge déesse de la chasse, des bois, de la nature et des menstrues, avait immobilisé ses bateaux dans le port car il avait prétendu être meilleur chasseur qu’Artémis. Ne voyez-vous pas dans ce conflit l’éternel défi d’un masculinisme en roue libre ? D’ailleurs lorsqu’on lui demande d’égorger sa fille, Agammemnon dit oui. Il est prêt à tout pour pouvoir aller faire la guerre et prendre une ville qu’on ne sait même plus situer sur une carte aujourd’hui, sur les côtes de l’actuelle Turquie. Tuer, c’est ça l’objet du réarmement, y compris démographique, dont aujourd’hui encore on nous vante les charmes, comme si la guerre était inévitable. Pardon d’avoir des doutes sur le projet.
Artémis a remplacé au dernier moment Iphigénie par une biche et l’a emportée en Tauride, où elle est devenue la grande prêtresse de son temple. Iphigénie était chargée de tuer sans pitié les étrangers qui se présentaient aux portes de la ville, alors qu’elle détestait tout ce qui était sang, blessures et autres coups mortels. Iphigénie dont le nom signifie “née avec force”, était la maîtresse des animaux sauvages (contradiction dans les termes) et c’est à elle qu’on offrait les linges ensanglantés des femmes mortes en couches, Artémis recevant ceux des survivantes – sorry pour les détails, mais Lune rouge oblige.
Qui a le droit de vivre, qui doit mourir, quel est le sens du sacrifice ?
C’est aussi de ça qu’il est question dans le livre de Fatima Ouassak qui paraît dans Nouvelles Lunes ce 26 mars 2025 aux éditions Au diable vauvert. Quand elle m’a appelée, à l’été 2023, pour me proposer ce projet, on sortait des émeutes du mois de juin qui avaient enflammé la France en révolte contre les violences policières. Déjà autrice de deux essais, La puissance des mères et Pour une écologie pirate (La Découverte), ainsi que d’un récit littéraire, Rue du Passage (JC Lattès), Fatima Ouassak voulait cette fois faire entendre la voix, l’imaginaire, l’intelligence et l’humour d’un garçon arabe musulman de neuf ans (presque dix !) et raconter à travers ses aventures et son héroïsme d’autres possibles à venir. Elle a joué le début de ce texte au festival Agir pour le vivant en août 2023 et sera ces 14 mars et 15 mars à la Chaux-de-Fonds pour une “petite ruse théâtrale” autour de cette épopée qu’elle incarne elle-même sur scène.
Entre fantastique, jeu vidéo, culture musulmane, Comme Ali est-il du solar punk ? L’avant-critique écrite par Nicolas Gary dans Actualitté, Rêver grand, tomber de haut : récit d’une enfance volée, nous en donne l’impression : “Passant de l'humour à la gravité, jouant de colère autant que de tendresse, Comme Ali est un texte brut, émouvant, entier : chaque phrase résonne comme un cri de vérité.”
J’ai hâte de pouvoir vous le présenter avec Fatima Ouassak au Point Ephémère (Paris) le 7 avril prochain entre 19h et 21h, lors d’une conférence performée. C’est bien entendu ouvert à toustes, en accès libre, en partenariat avec la librairie ERE pour la vente des livres – non seulement ceux de Fatima, mais aussi les autres titres de Nouvelles Lunes.
Enfin, grande nouvelle : à partir du 20 mars, j’ouvre un nouveau canal hebdomadaire pour accueillir les saisons. C’est mon amie Céline Dalbéra, avec qui je pratique le taichi, qui m’a proposé ce petit manuel du temps qui passe, pour vivre en harmonie avec avec la nature et ses esprits. Ce sera notre petite utopie du moment, entre médecine chinoise, qi qong et poésie alimentaire. On en a besoin aussi, non ?
QUELQUES RENDEZ-VOUS
Je serai samedi 15 mars à 15 heures à la médiathèque centre-ville de la ville de Saint-Denis pour une rencontre autour de mes livres. Venez, il reste des places !
Le 18 mars, de 18h30 à 21h, rendez-vous à la médiathèque de Blagnac, pour parler de Ceci est mon temps, autour du film de Anne Cutaia, Ménopositive, avec l’autrice de La Fabrique de la ménopause, Cécile Charlap.
Le 22 mars, vous pourrez rencontrer Sabrina Kassa à la librairie Luna à Grenoble, autour de son livre paru dans Nouvelles Lunes : Le Faux Souvenir.
Louise Mey, qui a publié La Femme aux mains qui parlent en mai dernier
dans Nouvelles Lunes vient de faire paraître un nouveau roman au Masque JC Lattès : 34m2.
oh, très touchée d'être citée ! merci <3 j'ai trop aimé toutes ces références mythologiques et la poésie multimillénaire qui chante la chatte : YESSS
Mais mon Elise c'est quoi cette histoire de canal hebdomadaire des saisons, explique ! C'est ou quand comment what ?