La nouvelle lune du 25 octobre annonce l’entrée dans l’obscurité de l’hiver et l’arrivée de Samain, l’ancienne fête celte aujourd’hui devenue Halloween, le 1er novembre.
Dans mon enfance, on ne célébrait pas cette fête, mais la Toussaint et, le lendemain, le jour des morts, qui était aussi l’anniversaire de ma mère.
Depuis les temps les plus anciens, les morts ont une place à table et auprès du feu pour Samain. On va leur rendre visite au cimetière et on leur achète des fleurs qui faneront sur les pierres tombales avec les premières gelées qui, cette année, semblent tarder à se manifester, alors qu'on nous annonce un hiver glacial. La plaque qui orne la tombe de ma mère est venue de Chine pendant le confinement, alors que les pompes funèbres étaient débordées par les morts dues au Covid-19. Je me demande encore comment j’avais pu signer pour ça, au lieu d’exiger, inflexible, du granit de Bretagne. La réponse est bien entendu que ça coûtait deux fois moins cher et que j’étais fauchée comme les blés.
En Lorraine, le 1er novembre s’appelle Rommelbootsennaat, c’est-à-dire « la nuit des betteraves grimaçantes »
Nous cuisons des soupes et nous faisons sauter les champignons. La militante indienne Vandana Shiva, autrice de Qui nourrit réellement l’humanité ? (Actes Sud) dit souvent que cuisiner permet de nous réapproprier les savoirs et cultures de la subsistance. C’est aussi ce qu’écrit Geneviève Pruvost dans son essai Quotidien politique (Ed. La Découverte), passionnant bréviaire de la révolution écoféministe.
Samain était une fête importante en Irlande et c’est à la mère d’Oscar Wilde, Lady Jane Francesca Agnez Elgee Wilde (1821-1896), qu’on doit paraît-il le lien entre ce rite celte et la Toussaint, qui a produit le folklore halloweenien.
Poétesse et traductrice, révolutionnaire et militante nationaliste irlandaise, elle a en effet écrit en 1887 un ouvrage fascinant, Ancient Legends, Mystic Charms & Superstitions of Ireland, qui réactive la vieille culture celtique enfouie sous des siècles de christianisme. Lors de la grande famine de 1845, qui a vu des dizaines de milliers d’Irlandaises et d’Irlandais partir pour les Amériques, cette version celtique a essaimé aux États-Unis, avant de nous revenir sous sa forme commerciale il y a quelques années.
Lady Jane a eu trois enfants et on la décrivait « belle et terrible comme une amazone ». Avant d’accéder à un certain confort grâce à son mariage avec le Dr Wilde, elle écrivait pour vivre, et notait à ce propos : « Écrire pour de l’argent est une chose très ennuyeuse quand on compare cela au fait d’écrire pour une révolution. » Féministe convaincue, elle envisageait la famille de façon originale : « La meilleure chance d’atteindre le bonheur domestique est que toute la famille soit bohème, et intelligente, et que tous ses membres jouissent entièrement d’une vie variée et spontanée, téméraire, de travail et de gloire, indifférents à tout sauf aux intenses moments d’applaudissements du public. »
Parce qu’on a tendance à idéaliser les vies passées, j’ai la faiblesse de croire que ma mère a su offrir aux siens une telle liberté. Je me demande ce qu’elle en pense sous sa pierre de Chine.
Lady Jane, elle, est morte alors que son fils, Oscar, était emprisonné en raison de son homosexualité. Le dandy génial auteur de pièces à succès, connu pour son mordant et son hédonisme, était l’auteur du Portrait de Dorian Gray, dans lequel un jeune homme fait le vœu que son image vieillisse à sa place, ce qui entraîne évidemment un désastre. Ce refus du réel cyclique, dans lequel la mort acceptée devient la condition de la vie régénérée, est une bonne métaphore de nos existences linéaires, transformées en mirages par la profusion des images virtuelles et de leur version égotiste, le selfie. L’occasion d’évoquer l’ouvrage de Mona Chollet, D’images et d’eau fraîche, qui vient de paraître chez Flammarion. Dans ce livre hybride et sensible, elle donne à voir, au contraire, la joie de penser, vivre et aimer avec les images. Une belle façon de passer Samain, avant de nous retrouver le 8 novembre !