Voyage en Ménopausie et autres plaisirs improbables #70
DIMANCHE 27 AVRIL • 21h31 • NOUVELLE LUNE
C’est une lettre un peu longue, où je vous parle de trois sujets : la ménopause, avec un texte coup de poing découvert grâce à Mona Chollet, l’art thérapie avec un film magnifique de Bertrand Hagenmüller, Les Esprits libres, et le roman d’amour funambule avec La Tendresse des catastrophes, de Martin Page. Si ça fait beaucoup, lisez-moi en plusieurs fois. Et rendez-vous à la pleine lune du 12 mai !
Ça commence avec un mail que je reçois, un soir, à l’intitulé intrigant : Voyage en Ménopausie. Il m’est transféré par Mona Chollet et s’accompagne de compliments enthousiastes sur mon livre, Ceci est mon temps, qui me mettent les larmes aux yeux (merci, Mona !).
Signé Monica M., le texte m’accroche toute de suite parce qu’il démontre avec force à quel point le sujet de la ménopause peut être instrumentalisé de façon stigmatisante sous couvert de “lever le tabou”. Je suis frappée par sa justesse, mais aussi par son authenticité, qu’on percevait déjà dans un précédent texte de Monica M. que Mona Chollet avait publié sur sa page Facebook et son blog en 2024 : Lettre d’une femme anonyme à la jeune bachelière de l’arrière-salle du café. C’est pourquoi j’ai choisi de le partager à la fin de cette publication, comme je le fais avec les auteurices invité·es dans ces pages depuis les débuts de Nouvelles Lunes. (Allez le lire et revenez !)
Dans nos sociétés sexistes et âgistes, nous sommes conditionné·es par des récits lamentables qui agissent sur nous comme des sortilèges.
Que l’avancée en âge puisse être une épreuve, cela ne fait aucun doute. Que ce tournant hormonal soit parfois pénible et dépaysant, c’est indéniable. Mais plus de la moitié des femmes vivent ce passage sans dommage particulier, comme elles ont vécu leur vie menstruelle ou leur puberté. C’est comme ça que ça devrait toujours être si on ne nous avait pas rendu·es malades, réellement, pendant des années, sur plusieurs générations. Ça devrait être comme ça si on ne nous forçait pas à exécuter sans cesse une performance de la féminité aussi épuisante que vaine.
Croyez-moi, même si ça ne correspond pas à ce que vous croyez ou vivez maintenant, même si vous avez envie de vous pendre parce que vous ne dormez plus, même si vous vous demandez si votre libido est allée chercher des cigarettes pour ne plus jamais revenir comme ces connards de mecs abandonnistes qui ont disparu du jour au lendemain, même si vous avez les épaules gelées, la peau sèche et la tête en feu, ne vous identifiez pas à ce moment. Ne devenez pas “une ménopausée”. Ça n’a pas de sens. Vous êtes toujours Joëlle, Martine ou Monica. Et si les statistiques ont raison, vous avez encore trente ans devant vous.
Le propre de ce genre d’épisode, c’est que ça passera. Un jour où l’autre le corps trouvera en lui la ressource de changer, de s’adapter, de se projeter dans une autre dimension. Et il le fera d’autant mieux qu’on aura pris le temps de l’écouter, de le respecter, de chercher avec lui le rythme de cette nouvelle vie – parfois avec l’aide de la médecine et parfois non. Et si c’est différent, eh bien ce sera différent. Qui a vraiment envie que les choses ne changent jamais ? Et qui vous dit que ce ne sera pas mieux après ? C’est votre vie, après tout.
De fait, les mecs vivent aussi un climatère, et comme on ne les a pas prévenus qu’ils ont une horrible maladie, ils font comme si ça n’existait pas et leurs troubles prennent moins de place dans leur vie – ce qui ne les a pas empêchés dans l’Histoire d’aller jusqu’à se greffer des couilles de singe dans le scrotum pour retrouver ce qu’ils appellent leur virilité (je le raconte aussi dans Ceci est mon temps).
Virginie Despentes disait un jour qu’on gagnerait à s’approprier davantage certains attributs virils dont les hommes n’ont pas l’exclusivité : s’autoriser à être soi, oser dire non, avoir de l’audace et l’esprit d’aventure, décider, s’engager, de battre, se défendre, et même se confronter. Je n’y arrive pas toujours, à titre personnel, mais je ne perds pas espoir. À soixante-trois ans, je viens de passer trois jours à faire du bâton dans un stage de taichi, et même si je suis plus près de la majorette de carnaval que de kung fu panda, le contact du bois, la posture martiale ont réveillé mon énergie comme jamais (pour celleux qui suivent mes folles aventures initiatiques : oui, cette fois je n’ai pas pleuré !).
Nous avons ce pouvoir, en fait. Celui de vivre, de changer, de vieillir, de guérir. Celui d’aimer encore ou enfin, et parfois même autrement. Ça n’arrange pas le marché qui nous inonde de propagande mensongère sur les traitements hormonaux ou les crèmes anti-âge, ni les puissances médiatiques et sociales qui nourrissent et perpétuent des stéréotypes sexistes visant à nous aliéner toujours davantage, mais il est temps d’en finir avec ces illusions délétères pour se mettre à l’écoute de nos intimités plurielles et singulières.
L’intime est politique. La ménopause est politique. Ce voyage en Ménopausie, on pourrait le faire ensemble. Alors écrivez-moi comme Monica les vraies choses qui vous arrivent ou vous sont arrivées avec la ménopause ou l’andropause. Oui, c’est un appel à textes. Anonymes ou pas, écrits comme ça vous vient, je promets de les publier et… qui sait, on pourrait en faire un recueil ? Ouvrons en tout cas cette discussion ! (ici ou sur les nouvelleslunesdudiable@gmail.com)
Des esprits libres et en liberté
Prendre la parole, changer les récits permet de changer la donne et parfois même de guérir. Un film magnifique me l’a récemment confirmé : Les Esprits libres, de Bertrand Hagenmüller, qui sera en salles ce 30 avril. C’est un documentaire mais c’est en même temps une fiction, c’est-à-dire un moment inventé pour être filmé, une aventure artistique, humaine et thérapeutique inédite qui vous tient par le bout du coeur pendant une heure et demie.
La géniale bande-annonce vous en donne l’argument : pendant quinze jours, une dizaine de résident·es d’un EHPAD malades d’Alzheimer, leurs soignant·es et des artistes se retrouvent dans un manoir en Bretagne pour une résidence théâtrale qui se termine par un spectacle ouvert au public. Évidemment, créer une pièce avec des personnes qui ne se rappellent de rien, pas même qui elles sont ou où elles sont, cela peut sembler hasardeux. Et bien sûr, ça l’est. Mais c’est aussi une prouesse qui s’accomplit sous nos yeux, créant de la beauté, une joie immense et pétillante dans laquelle j’ai puisé de l’espoir en ces temps désespérants. La standing ovation qui a suivi la projection en avant-première me dit que je ne suis pas la seule. Enfin, une étude scientifique menée durant cette expérience a montré qu’à l’issue de ces deux semaines de résidence, la santé des patient·es s’était considérablement améliorée. Preuve que nos regards et nos récits peuvent soigner !
Au-delà de la perpétuation des stéréotypes
Soigner, c’est aussi ce que m’a fait le dernier roman de Martin Page, La Tendresse des Catastrophes (Les Escales). J’ai découvert Martin Page avec son livre culte, le génial et libérateur Au-delà de la pénétration que je vous invite à lire, comme je vous invite à lire ce qui est à mes yeux son pendant, le merveilleux Éloge des fins heureuses, de Coline Pierré, son amoureuse depuis treize ans. Les deux auteurices sont sur Substack et on n’a que de bonnes raisons de les suivre ici comme ailleurs : iels sont drôles et empreint·es de sérieux, tendres et parfois têtu·es, avec un petit côté funambule et décalé qui n’est pas pour me déplaire.
J’avais un peu peur en commençant le roman de le trouver trop démonstratif – comme cela peut arriver avec certains projets manifestes. Mais je me suis glissée dans ce livre comme dans un vêtement confortable et un peu usé, le sweat doudou, le jean élimé : enfin quelque chose de sécurisant et de régressif concernant l’amour ! Je ne sais pas à quoi ça tient. Au talent de Martin Page, bien sûr, mais aussi à autre chose : l’audace, peut-être, de créer de nouvelles traces de pas dans le sable. Les deux personnages, Harriet et Max, sont des inadapté·es que tout semble opposer, l’histoire est attendue mais à l’envers. Et ça change tout. Car cet envers du décor, des corps, des accords et des désaccords est baroque et touchant, et la politique s’y mêle avec beaucoup de douceur, ce qui, là encore, n’est pas habituel.
J’aime dans ce texte sa radicalité qui n’est jamais violente et sa nostalgie qui réussit le prodige d’être futuriste. Certaines scènes resteront à jamais gravées dans mon esprit : la première étreinte d’Harriet et Max, les dialogues entre Harriet et son père à propos de l’alcool, de l’amour et de la politique (j’avoue, j’ai eu les larmes aux yeux), ou encore les dialogues désopilants avec les psys respectives des deux protagonistes. Il y a des palanquées de punchlines dans ce roman que j’ai lu (hélas) en numérique lors d’un voyage, mais en voici une pour conclure avant de donner enfin la parole à Monica, qui résonne bien avec nos débats récents sur Substack.
Voyage en Ménopausie
Lettre de Monica M. à Mona Chollet, avril 2025
“Je souhaiterais porter à votre attention deux ou trois informations récentes qui m'ont interpellée, et qui ont blessé la femme que je suis.
D’abord cet article dans le magazine Géo qui titre : La ménopause, nouvelle tendance dans le secteur du voyage. Je crois qu’il date de 2024. Le ou la journaliste dit que c'est une manne pour les voyagistes, mais détaille les arguments sur lesquels ils se fondent – ce qui est ambigu, car elle les prend tous pour argent comptant : "un tremblement de terre qui secoue nos fondations les plus solides'', par exemple, sans contredire jamais, ni relativiser. Ça rigole pas dans les mots. Tremblement de terre. Rien de moins.
Plus loin : “La liste des symptômes est longue, bien que cette période de la vie d'une femme soit vécue différemment selon chacune”. L'article n'a par la suite aucun intérêt, il détaille des séjours et voyages bien- être. Rien que le mot bien bien-être me met mal à l'aise. Ce qui m'irait bien à moi, ce n’est de ne pas rentrer dans un cercle nombriliste mortifère le temps d'un voyage, mais de pouvoir vivre sans étiquette. Voila le vrai bien-être, la véritable liberté.
Le terme ''tremblement de terre qui secoue nos fondations'' est d’ailleurs excessif. Rien que par les mots, il fait grand ravage. Pour ma part, j'estime qu'il y a des tremblements de terre plus décisifs : un deuil, un coup de foudre. Oui, on peut aussi tomber amoureux, amoureuse à un âge avancé, et avoir un fort désir. Je vous l'avais raconté. Ce désir est encore là. Et j'en remercie la vie. (Malgré un cancer du sein il y a quelques mois. Pris à temps.)
Puis, récemment à la télé, un petit reportage sur la ménopause, dans le cadre d'un projet de loi. Invitée, une ancienne miss France. Le commentateur détaille l'affaire. En gros, je résume : “À partir de 45 ans, toutes sortes de symptômes, prise de poids, sécheresse vaginale, trouble de l'humeur, bouffées de chaleur, etc. Le sujet n'est plus tabou.”
”Bonjour l'étiquette posée sur les femmes. Les féministes sont-elles toutes d'accord avec cette levée du tabou qui stigmatise et réduit ? Le sujet n'est plus tabou, mais il est vachement orienté. Sans nuances. Sans précisions. Pleurons ensemble mes sœurs.”
La Miss France interrogée refuse les traitements hormonaux substitutifs et parie sur une bonne hygiène de vie. (Entre parenthèses, hein les filles, on peut rester belle, il suffit de le vouloir).
Voilà pourquoi cette fois encore, le traitement du sujet me blesse. La ménopause est présentée sur son pire jour (“alors même que toutes les femmes ne vivent pas cette période de la même façon”, c'est dit, mais qui écoute ça ?). Les femmes se sentent elles comprises ? Moi je trouve cela totalement stigmatisant. Quid du désir, de la vitalité de la femme ?
Pendant ce temps et au fil des infos, les femmes et les hommes intègrent cette définition de la ménopause. Ah oui, le tabou est levé, mais quelle misère. Sommes-nous donc toutes déclassées à partir de 45-50 ans ? Parce que c’est ça que ça veut dire, en creux, car je n'entends pas dire l'inverse, je ne vois pas l'ombre de l'ouverture d'une brèche positive. Oui, il y a des signes désagréables de la ménopause, très désagréables pour certaines. Mais de là à penser que c'est l'enfer et la fin de la vie de femme, faut pas exagérer.
Où sont les femmes qui pourraient témoigner de leur vitalité (sexuelle notamment, mais pas seulement) ? Les voix féminines sont très rares sur le sujet. Elles baissent toutes la tête ? Rassurez-moi.
Je comprends mal ce qui se passe. Je trouve cela encore une fois désolant, décourageant. Quoi, je suis seule à penser ce que je pense et vivre ce que je vis ? Pourquoi les femmes ne parlent-elles pas ? La ménopause a ses inconvénients mais ce n'est pas une maladie. Or, voilà ce que je comprends, moi. C'est une maladie, incurable, le tabou est levé les filles, vous devriez nous remercier. On a pensé à vous, n'allez plus dire qu'on vous oublie, on vous tend le micro. Et puis, pour vous faire du bien, prenez un petit complément alimentaire, ou payez-vous un voyage en Ménopausie (pitié !! imaginez le cadeau : "Tiens pour tes 50 ans, on a pensé qu'un séjour ''ménopause" te ferait plaisir. Et du bien surtout hein''. Ben oui, tu as l'âge, non ? )
Je vois dans tout ça une manière bien tordue mais efficace de neutraliser la libido féminine et sa place dans la société. Non mais, que croyaient-elles les femmes ? Là, elles sont remises à leur place. De leur côté certains hommes défendent leur pouvoir sexuel plus ouvertement (Comte-Sponville évoquait sa sexualité récemment dans La Grande Librairie. Il disait juste que c'était important aussi à son âge, sans donner de détails). Bon, il y avait peut-être un peu de la vanité du mâle mûr, mais dans le fond, peut-être que cela n'est pas si malvenu que ça... si les femmes faisaient de même. Et il me semble que ce n'est pas souvent le cas.
Une amie de mon âge – 67 ans – m'a dit l'autre jour : “c'est quoi tout ce cirque avec la ménopause ?” Elle non plus, elle ne comprend pas. Là, ce qu'on nous dit, c'est qu'à partir de 45 ans-50 ans, on n'est plus vraiment une femme en fait. On n'a plus de règles, ok, mais de la sécheresse vaginale et on devient désagréable. C'est sûrement vrai parce que toutes les télés, les journaux, en parlent. Beau tableau. D'une absolue misogynie sous prétexte de comprendre et de défendre les femmes. Sans tabou, hein ? Je suis écœurée.
Si je vous écris, c'est parce que je finis parfois par me dire que je pense de travers. Je suis peut-être en train de tomber dans le piège – vous savez comment ça marche, à force de répéter, ça rentre dans les têtes. Bref, de capituler devant la bêtise crasse, qui fait des dégâts dans la tête des femmes et des hommes.
Je n'en parle plus autour de moi, l'affaire semble entendue : la ménopause c'est la fin des haricots. Quel poids a ma parole ou celle d'une autre qui penserait comme moi, face à au déferlement médiatique drama. On nous accuserait de simulatrices, de pauvres nanas dans le déni. Donc je me tais. Et je suis triste.”
Donc je vois progressivement ce que je perds et non ce que je gagne, on nous renvoie qu’on ne vaut plus rien, nos symptômes ne sont pas pris en compte, honnêtement c’est dur mais bravo à celles qui ont trouvé leur place sans s’en prendre plein la gueule et qui arrivent à accueillir ces changements hormonaux avec grâce et confiance. Moi je ne serai pas un modèle à suivre clairement…
Sensasss